Exploiter et protéger : un forum pour l'avenir des forêts suisses

© 2016 EPFL

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Le potentiel des forêts suisses serait actuellement sous-exploité. Mais comment faire concilier davantage d’exploitation, notamment pour la production d’énergie, avec la préservation de la biodiversité ? Un forum en a débatu le 19 avril dernier à l’EPFL.

Les forêts sont un capital majeur de notre pays. À la fois ressource énergétique et foyer d’une impressionnante biodiversité, lieu récréatif et protection contre des dangers naturels, les forêts doivent être gérées de manière durable. Comment investir ce capital afin d’en récolter au mieux les intérêts ? Cette question a été abordée lors d’un forum regroupant chercheurs et praticiens du domaine forestier qui s'est tenu à l’EPFL le 19 avril. Nous avons rencontré Rita Bütler, responsable de l’interface recherche – pratique de l’Institut fédéral de recherches sur la forêt, la neige, et le paysage WSL et Alexandre Buttler, directeur du Laboratoire des systèmes écologiques.

Le bois peut-il réellement être une ressource énergétique durable?
Rita Bütler (RB) : C'était précisément le thème de notre forum. En Suisse, la Stratégie énergétique 2050 prévoit de favoriser l’utilisation du bois pour l’énergie avec des objectifs clairs. Mais il faudra encore déterminer si le potentiel existant permettra d’atteindre cette cible, et à quel prix ?

Quelle est actuellement la politique suisse de gestion forestière ?
Alexandre Buttler (AB): Il y a un point qui est très fortement ancré dans la gestion forestière, c’est qu’il n’est pas question de toucher au capital. On récolte les intérêts de la forêt, c’est-à-dire la croissance – d’où le terme de durabilité.

RB : On a différentes politiques croisées. Le Plan d’action bois, qui met en œuvre la politique de la Confédération liée aux ressources en bois, prévoit une augmentation de l’utilisation de cette ressource, afin de s’approcher du potentiel exploitable de manière durable. Depuis plusieurs décennies, on constate que le volume de la forêt s’accroît, on a donc de plus en plus de capital potentiellement à notre disposition. D’un autre côté, il y a aussi des politiques forestières qui visent à mieux protéger et préserver la biodiversité.

Exploiter et protéger, deux points de vue qui semblent irréconciliables…
RB : Dans notre forum, nous voulions montrer que, loin d’être un conflit, il peut y avoir des synergies entre ces deux approches. Car on peut très bien exploiter du bois, donnant lieu à des forêts avec moins de volume et plus de lumière, ce qui peut être un avantage pour une partie de la biodiversité. Il nous manque de la jeune forêt et de la vieille forêt. Dans ces deux extrêmes, il y a un énorme intérêt pour la biodiversité, et nous devons la protéger. Par contre dans la forêt d’âge intermédiaire, on peut s’attendre à une synergie entre exploitation et protection.

Quelles seraient donc quelques stratégies pour favoriser la biodiversité ?
AB : Une recette intéressante, c’est de ne pas faire la même chose partout. C’est un principe qui ne se limite pas qu’à la gestion de forêt, on le retrouve aussi en agriculture. C’est à dire, on travaille par petite parcelle plutôt que d’avoir un monotraitement. Ce mélange favoriserait la biodiversité qui se crée par les interfaces.

Qui sont les victimes de l’exploitation forestière ?
RB : Les perdants sont toutes les espèces qui sont dépendantes d’une grande continuité forestière, donc qui se développent lentement : des champignons, des lichens, des insectes qui sont liés au bois mort. De l’autre côté, il y a les gagnants, tous les groupes d’espèces du milieu semi-ouvert qui, il y a quelque centaines ou milliers d’années se sont réfugiés dans la forêt. Celles-ci qui profiteraient d’un éclaircissement des forêts. Il s’agit d’espèces héliophiles (qui aiment la lumière) : des orchidées, des invasives, mais aussi des papillons, etc. Quant à la grande faune, elle fonctionne à des échelles spatiales très différentes.

AB : Une autre victime c’est le sol. Qui dit exploitation, dit mécanisation. Aujourd’hui on admet qu’à peu près 10 % du sol est compacté dû à la desserte forestière.

Quelles mesures sont mises en place afin de favoriser la biodiversité dans les forêts ?
RB : Les stratégies préconisées par l’Office fédéral de l’environnement avec les cantons se basent sur trois piliers. Premièrement, la mise en place de réserves forestières pas exploitées, comme ici dans le canton de Vaud où on travaille actuellement sur un réseau de réserves forestières – 2500 hectares à ce jour. Deuxièmement, on crée des îlots de sénescence, des surfaces plus petites, dans lesquels on n’intervient pas. Et troisièmement, on conserve des arbres habitat. Ce sont de vieux arbres qui ont des caractéristiques importantes pour cette petite faune, qui, marqués avec un H, seront laissés en forêt.

Et que fait-on au niveau des jeunes forêts ?
RB : Là, nous n’avons pas encore de stratégie, mais des visions que nous aimerions développer. Cela peut consister à diversifier les modes de gestion. Aujourd’hui, nous avons beaucoup de futaies, où tous les arbres ont à peu près le même âge. Une piste de réflexion serait la suivante : ne pourrions-nous pas introduire des anciens modes d’exploitation forestière, ce qu’on appelle le taillis-sous-futaie, où on va couper régulièrement le sous-bois pour faire du bois-énergie, mais où on laisse quelques arbres pour faire du bois pour la construction ? Il y a aussi la variante taillis, où il n’y a plus d’arbres du tout. On fait une petite coupe rase, on laisse pousser pendant quelques dizaines d’années, et on recoupe tout. C’est une vision pour promouvoir la jeune forêt.

Comment sera la forêt en 2050 ?
RB : Par rapport à la composition en essences, on se dirige vers une forêt mixte, avec davantage de forêts de feuillus, et de moins en moins de résineux. En tout cas en plaine et dans les Préalpes, c’est une bonne chose par rapport à l’aspect naturel de la forêt, car nous avons de plus en plus d’essences qui sont bien adaptées à la station. La forêt devient donc plus naturelle. Depuis 30 ans on observe un accroissement du volume de nos forêts. Si on décide de maintenir le niveau actuel, ou même de le diminuer, il faudra plus couper. On ne sera donc pas durable à long terme. Par contre, temporairement, jusqu’aux années 30, 40, ou 50, cela pourrait nous permettre d’avoir plus de bois. Ces thèmes ont aussi été discutés lors du forum.

Quels étaient les autres points forts du forum qui s'est tenu à l’EPFL ?
AB : Ce forum a offert un dialogue entre les défenseurs de la biodiversité et ceux de son exploitation. Nous sommes de plus en plus obligés de voir les choses de manière transversale, de trouver des approches globales. On ne parle pas uniquement du rendement de la forêt ni juste de la biodiversité. Dans un pays comme la Suisse, la forêt n’a pas la même fonction en plaine qu’en montagne où des forêts de protection sont utilisées par exemple comme des barrages contre les avalanches. Cela montre que l’on ne va pas trouver une recette pour toutes les forêts de Suisse. Faire dialoguer, trouver des compromis, c’est à coup sûr quelque chose d’important.

RB : J’ajouterais qu’actuellement, l’un des plus grands défis de notre société, c’est de trouver des énergies qui nous permettront de sortir du nucléaire. Et un deuxième grand défi suisse et mondial consiste à trouver comment ménager les ressources, et surtout la biodiversité. Car on sait que la biodiversité est en déclin partout dans le monde. Ces grands défis ne peuvent se résoudre que dans le dialogue interdisciplinaire entre les biologistes, les ingénieurs, et toutes les personnes concernées par la question des forêts.