En comparant les génomes de deux bactéries responsables de la lèpre

Mycobacterium leprae (rouge) ©CDC

Mycobacterium leprae (rouge) ©CDC

Des chercheurs de l’EPFL ont confronté les génomes de deux types de bactéries entraînant la lèpre. Leur étude montre que ceux-ci sont issus d’un ancêtre commun vieux de 13.9 millions d’années et propose un aperçu inédit de leur biologie, ouvrant ainsi la voie à de nouveaux traitements.

La lèpre est une infection chronique de la peau, des nerfs périphériques, des yeux et des muqueuses des voies respiratoires supérieures. Elle touche plus d’un quart de million de personnes dans le monde. Ses symptômes peuvent se montrer terriblement destructeurs, car la bactérie diminue la sensibilité du corps, ce qui provoque des lésions de la peau, des dommages aux nerfs et des handicaps. Jusqu’il y a peu, on pensait que la lèpre était due à un seul bacille appelé Mycobacterium leprae. On sait désormais que son proche parent, Mycobacterium lepromatosis, pourrait en provoquer une forme rare mais sévère. Or, des chercheurs de l’EPFL ont analysé le génome complet du M. lepromatosis, et l’ont comparé à la bactérie de la lèpre la plus répandue. Leur étude, publiée par PNAS, révèle l’origine et l’évolution des deux bacilles, et met en lumière leur biologie, leur distribution globale, ainsi qu’un traitement potentiel.

Outre ses symptômes mutilateurs, la lèpre, très stigmatisée, se solde souvent par le rejet social des malades. Bien qu’elle ait pu être combattue par antibiotiques, elle reste aujourd’hui endémique dans de nombreux pays en développement.

Une étude publiée en 2008 a démontré qu’en plus de la M. leprae, une autre espèce de bactérie, la M. lepromatosis, provoquait, au Mexique et dans les Caraïbes, une forme agressive de la maladie, appelée « lèpre lépromateuse diffuse »,.

Etude du génome de la M. lepromatosis

Le laboratoire de Stewart Cole de l’Institut d' Infectiologie de l’EPFL a mené des recherches sur la M. lepromatosis à l’échelle génomique. Complexe et gourmande en ressources informatiques, cette technique analyse tout l’ADN de la bactérie et localise ses gènes le long de la séquence. Comme la M. lepromatosis ne peut être cultivée en laboratoire et que les cas animaliers n’existent pas encore, l’équipe a utilisé un échantillon de peau infectée pour obtenir le matériel génétique voulu.

Après avoir extrait l’ADN de tout l’échantillon, les chercheurs ont dû séparer l’ADN de la bactérie de celui du patient. Pour ce faire, ils sont utilisé deux techniques génétiques distinctes, l’une qui intensifie l’ADN de la bactérie et l’autre qui affaiblit celui de type humain. Une fois l’ADN bactérien isolé, les scientifiques ont pu le lire pour obtenir la séquence complète du génome de la bactérie. Ils l’ont ensuite comparé avec le génome connu de la M. leprae, responsable de la majorité des cas de lèpre recensés.

Résultat: ces deux espèces de bactéries semblent être de proches parentes. L’analyse génomique comparative a en effet pu retracer l’histoire de leurs gènes et prouver que toutes deux avaient divergé d’un ancêtre commun doté d’une structure génomique similaire il y a 13.9 millions d’années. Cet ancêtre a été victime de ce que l’on appelle un « déclin génétique», soit la mutation d’un grand nombre de ses gènes sur une longue durée et plusieurs générations, ceux-ci perdant leur fonctionnalité avant de disparaître. L’analyse indique en outre que les deux espèces continuent à perdre leurs gènes, mais dans des régions différentes du génome, ce qui suggère que ceux-ci ont occupé divers rôles et mécanismes biologiques à des fins de survie au fil de l’évolution bactérienne.

L’équipe de Cole a également mené une étude sur plus de 200 échantillons de patients asiatiques, africains et américains afin de déterminer la distribution géographique de la M. lepromatosis. Les résultats ont montré que cette bactérie était très rare, et semblait se limiter aux malades mexicains. Par contre, celle qui cause le plus souvent la lèpre, la M. leprae, est présente dans le monde entier.

Les chercheurs ont en outre observé que la M. lepromatosis avait conservé des gènes destructeurs pour des cellules du système nerveux, les cellules Schwann, qui produisent des gaines protectrices et enveloppent les axones des neurones périphériques. Si l’infection de ces cellules spécifiques est une caractéristique de la M. leprae, la présence des gènes y relatifs dans la M. lepromatosis signifie que cette bactérie pourrait également s’attaquer à ces cellules. Les prochaines recherches le diront grâce aux ressources produites au fil de cette étude.

Cette analyse génomique comparative offre une vision novatrice et plus précise de la biologie de la M. lepromatosis. En dévoilant l’histoire et l’évolution des deux bactéries de la lèpre, elle ouvre la voie à de nouvelles stratégies thérapeutiques.

Cette étude est une collaboration entre l’Institut d' Infectiologie Globale de l’EPFL, l’Université de Tübingen, l’Institut Max Planck pour de l’histoire humaine et l’Université autonome du Nouveau León. Elle a été soutenue par la fondation Raoul Follereau et le FNS (programme de recherche helvético-brésilien).

Source

Singh P, Benjak A, Schuenemann VJ, Herbig A, Avanzi C, Busso P, Nieselt K, Krause J, Vera-Cabrera L, Cole ST. Insight into the evolution and origin of leprosy bacilli from the genome sequence of Mycobacterium lepromatosis.PNAS 23 March 2015. DOI: 10.1073/pnas.1421504112



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Mycobacterium leprae (red) © CDC
Mycobacterium leprae (red) © CDC

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