Embryogenèse et cancer, un mécanisme commun?

Creative Commons, Christoph Bock

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De nombreux cancers pourraient trouver leur origine dans un mécanisme de neutralisation des gènes. Indispensable à la formation de l’embryon, ce processus pourrait se réactiver accidentellement dans les cellules tumorales, selon des chercheurs de l’EPFL.

Ils ne sont réveillés que pendant quatre petites journées environ, puis ils s’endorment à jamais. Certains gènes ne s’expriment qu’au tout début de la formation de l’embryon. Une fois leur tâche accomplie, ils sont plongés dans un sommeil éternel, contrairement à la grande majorité des gènes, qui restent actifs tout au long de la vie. Des chercheurs de l’EPFL ont décrypté une partie de ce curieux mécanisme. Le même processus, déclenché plus tard et accidentellement, pourrait également être à l’origine de nombreux cancers. Cette découverte fait l’objet d’une publication dans Cell Reports.

Les chercheurs sont parvenus à identifier un groupe de protéines, qui jouent un rôle clé dans le phénomène. Elles s’accrochent à une séquence d’ADN proche du gène, et apposent une marque quasiment indélébile – un élément de l’ADN est substitué par un autre. Le phénomène est connu sous le nom de «méthylation». Après ce marquage, la machinerie cellulaire reconnaîtra le signe et maintiendra pour toujours le gène en dormance.

«C’est un mécanisme extrêmement élégant. Ces gènes sont sans doute utiles tout au début de la formation de l’embryon, et plutôt que de devoir les désactiver ensuite à chaque division cellulaire, le travail est fait une bonne fois pour toutes, dès le moment où ils ne sont plus requis», explique Didier Trono, chercheur à l’EPFL et co-auteur. "Ce processus est aussi engagé dans le contrôle des séquences virales qui constituent près de la moitié de notre génome, et doivent être inactivées très tôt dans le développement"

Ce mécanisme, qui prend normalement place dans l’embryon de quelques jours, pourrait également se déclencher plus tard dans la vie, mais de manière accidentelle. En effet, dans de nombreuses cellules cancéreuses, on constate que certains gènes, normalement actifs, sont marqués du signe de la méthylation – c’est-à-dire qu’ils sont dormants. Si par exemple le gène responsable du contrôle de la division est touché, on imagine facilement les conséquences. Selon Didier Trono, «le processus embryonnaire, qui vise à réduire certains gènes au silence, pourrait se réactiver de manière fortuite et participer à la formation de cellules tumorales».

Reste désormais à comprendre pourquoi, dans une situation normale, le processus cesse après les tous premiers jours de l'embryogenèse, alors même que nombre des protéines responsables continuent à être exprimés, explique Didier Trono. «Si nous parvenons à saisir le fonctionnement de cette horloge, alors nous pourrons peut-être comprendre comment le mécanisme s’enclenche à nouveau, plus tard, et favorise peut-être l’apparition du cancer.»

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Quenneville et al., The KRAB-ZFP/KAP1 System Contributes to the Early Embryonic Establishment of Site-Specific
DNA Methylation Patterns Maintained during Development
, Cell Reports (2012), http://dx.doi.org/10.1016/j.celrep.2012.08.043


Auteur: Lionel Pousaz

Source: EPFL