Des pylônes électriques transformés en toiture de gare

Six lignes à haute tension seront démantelées en Valais. © Swissgrid

Six lignes à haute tension seront démantelées en Valais. © Swissgrid

Pour son travail de master, Joseph Desruelle a imaginé réutiliser des barres d’acier issus du démantèlement de pylônes électriques pour redessiner la toiture de la gare de Lausanne. Bien qu’encore théorique, ce type d’approche pourrait s’imposer.

Comptabiliser et classer en familles des milliers de barres d’aciers issues de pylônes électriques. En extraire les propriétés mécaniques et les modéliser en un nouveau projet de toiture de gare. C’est la mission que s’est donnée Joseph Desruelle dans la réalisation de son travail de master en génie civil. Encadré par les professeurs Corentin Fivet du Laboratoire d’Exploration Structurale (SXL), basé au smart living lab de Fribourg, et Aurelio Muttoni, du Laboratoire iBeton, l’étudiant a assuré la soutenance orale de son projet le 22 mars dernier à l’EPFL.

Sa démarche s’inscrit dans un nouveau courant de recherche en génie civil: réutiliser tels quels des éléments de structure (barres et systèmes en acier, poutres en bois, etc.) à la fin de leur durée d’utilisation, au lieu de les recycler ou de les détruire. Ce processus permet de réduire le bilan en énergie grise des nouvelles constructions, dont 71% des émissions de gaz à effet de serre proviennent de l’extraction et de la fabrication des matériaux ainsi que de la phase de chantier. Cette approche diminue également le nombre de déchets générés par le secteur de la construction, qui représente environ un tiers des déchets produits en Europe. Enfin, la réutilisation des matériaux a l’avantage de préserver les ressources naturelles en quantité limitée.

Malgré tous ces avantages, ce domaine de recherche reste peu exploré et manque encore de réalisations concrètes permettant d’en démontrer la valeur. C’est pourquoi Joseph Desruelle démarre son étude par une partie théorique visant à généraliser l’approche. Celle-ci aboutit au développement d’un algorithme d’optimisation permettant de dessiner la structure d’un projet de construction (pont, immeuble, etc.) à partir de n’importe quel stock d’éléments structurels usagés: l’ingénieur entre le nombre d’éléments réutilisables à disposition, leur taille, leur masse, leur géométrie et leurs propriétés mécaniques et l’algorithme propose un dessin optimal minimisant la quantité de matière, sans créer de déchets supplémentaires et avec une certaine marge créative. Cette étude théorique a bénéficié des travaux de Jan Brütting, doctorant au SXL.

Appliqué aux pylônes
Dans la seconde partie de son projet, l’étudiant teste son processus sur un cas pratique inspiré du démantèlement de six lignes à haute tension prévu dans le canton du Valais. Un projet qui générerait, dans le cas d’une réutilisation des matériaux, un potentiel stock de 18'000 barres d’acier par ligne, dont un peu plus de 80% seraient réutilisables. A partir de ces composants de base, l’étudiant a donc redessiné grâce à son algorithme une structure de 200 mètres de long pour la toiture de la gare de Lausanne, qui abrite les voies de chemin de fer et les quais. Avec comme contraintes de ne couper aucune barre d’acier et de réutiliser les moyens d’assemblages (ou connexions) existants.

En optant pour une architecture modulaire, l’étudiant a également envisagé de réutiliser des parties de pylônes telles quelles, sans les démonter (voir figure ci-dessous). «Ce type de réutilisation a l’avantage d’économiser du travail de main d’œuvre et revient donc à simplement transporter ces éléments d’un lieu à l’autre», précise Joseph Desruelle. Au bout du compte, l’étudiant n’a utilisé que 20% des matériaux des lignes à haute tension et évalué l’économie en énergie grise à 80%, en opposition à la construction d’une toiture identique totalement neuve.

Les CFF prévoient effectivement une adaptation de la «marquise» historique de Lausanne dans le cadre du projet d’extension de la gare. La toiture étant toutefois classée, il n’est pas question pour eux de la remplacer, ni de la transformer, précise l’étudiant qui a reçu des plans des services concernés. Les CFF prévoient d’ajouter des extensions à la marquise là où les quais seront allongés. Le contre-projet de Joseph Desruelle pourrait toutefois inspirer d’autres applications, à l’instar d’une halle industrielle, d’une salle omnisport ou même, d’un pont.

Réalité alternative
«Nous nous situons pour l’instant dans une réalité alternative», précise Corentin Fivet, co-directeur du projet de master. «Plusieurs questions économiques et de responsabilité civile doivent être réglées. Mais du point de vue de l’ingénieur, nous voulons montrer que nos outils permettront bientôt de réutiliser des éléments structurels de manière optimale pour construire de nouvelles structures. L’Union européenne investit beaucoup de moyens dans ce domaine de recherche car elle y voit une manière de créer des emplois et de dynamiser l’économie locale. J’ai bon espoir que ce système s’imposera bientôt comme une évidence.»

«L’idée est de changer notre manière de penser en génie civil, qui se résume actuellement à construire, détruire et jeter, pour passer à une économie circulaire», souligne de son côté Joseph Desruelle. Cela signifiera-t-il pour les architectes de devoir tenir compte des matériaux à disposition lors de la phase de conception? Lui-même architecte et ingénieur, Corentin Fivet en est convaincu et y voit un nouveau terrain de jeu: «La créativité de l’architecte consistera à trouver les meilleurs matériaux réutilisables comme base structurale et à imaginer comment les employer au mieux .» Une méthode qui aurait peut-être intéressé Jean Tinguely, natif de Fribourg, dont le musée se situe à quelques kilomètres du laboratoire du chercheur.

Ce projet de master a été réalisé avec la collaboration de Swissgrid.

Références

Joseph Desruelle, STRUCTURAL FORM-FINDING FROM RECLAIMED BAR ELEMENTS, Master Thesis, Supervisors: Prof. Aurelio Muttoni, Prof. Corentin Fivet, Civil Engineering, EPFL, 2 March 2018. (Disponible en ligne dès le mois de juin 2018)


Auteur: Sandrine Perroud

Source: EPFL