Des pluies plus fréquentes et plus intenses prévues en Antarctique

Jour de pluie à la station Dumont d'Urville, le jour de l'An 2014. © B+N Jourdain/UGA/CNRS/IPEV

Jour de pluie à la station Dumont d'Urville, le jour de l'An 2014. © B+N Jourdain/UGA/CNRS/IPEV

Une augmentation des pluies liée au changement climatique pourrait avoir une incidence sur le niveau de la mer et les colonies de manchots d’ici à 2100.

Des précipitations liquides (pluie et bruine) pourraient augmenter en quantité, en fréquence et en intensité au cours des 80 prochaines années le long des côtes de l'Antarctique, selon une nouvelle étude publiée dans Geophysical Research Letters.

D'ici 2100, si les gaz à effet de serre continuent d'être libérés à un niveau élevé, les quantités de pluie augmenteront de 240 % en moyenne sur le continent, selon cette recherche menée entre l’EPFL, Sorbonne Université et le CNRS en France, et l’Université d’Aveiro au Portugal.

L'augmentation des pluies pourrait favoriser la fonte de certaines des grandes calottes et plateformes glaciaires du continent austral, ce qui, par voie de conséquence, pourrait contribuer à l'élévation du niveau des mers dans le monde entier.

La pluie peut également avoir des conséquences dramatiques pour les poussins des manchots Adélie. Les plumes des poussins n'étant pas encore imperméables, ils peuvent geler lorsque le temps humide se refroidit et que les vents se lèvent. La saison de reproduction de l'une des plus grandes colonies de manchots Adélie autour de la station de recherche Dumont d'Urville, dans le sud-est de l'Antarctique, a connu un échec complet lors de la saison 2013-2014 en grande partie en raison d’une fort évènement pluvieux.

"Nous nous attendons non seulement à des événements pluvieux plus fréquents, mais aussi à des événements pluvieux plus intenses", indique Etienne Vignon, du Centre national français de la recherche scientifique de l'université de la Sorbonne à Paris, ancien chercheur à l’EPFL et premier auteur de l’étude.

Aujourd’hui, la très grande majorité des précipitations que reçoit l'Antarctique est de la neige. La pluie est rare, et lorsqu'elle survient, c'est généralement sur les côtes du continent. La nouvelle étude estime que la pluie tombe actuellement jusqu'à quatre jours par an en moyenne sur la côte de l'Antarctique de l’est et plus de 50 jours en moyenne sur le nord-ouest de la Péninsule antarctique.

© 2021 EPFL

Interview d’Alexis Berne, directeur du Laboratoire de télédétection environnementale (LTE) et dernier auteur de l’étude:


Quelle nouvelle information cette étude amène-t-elle dans le domaine ?
Alors que la grande majorité des précipitations qui tombent sur la calotte sont des chutes de neige, cette étude est la première qui approche la question de la pluie en Antarctique de manière systématique. Les tendances associées, aussi bien dans le passé que dans le futur, sont en outre étudiées, en considérant l'ensemble du continent et non pas une région en particulier. Pour ce faire, nous avons tout d'abord collecté et analysé l'ensemble des rapports des observateurs météorologiques à 10 stations (jusqu'à 50 ans en arrière) pour avoir une perspective historique sur les décennies passées. Aucune tendance forte n'apparaît, excepté sur la Péninsule antarctique où les jours de pluie ont été de plus en plus fréquents jusqu'en 1998, puis leur nombre a diminué de 1998 à 2015, en lien avec la variabilité naturelle du climat dans cette région.

Qu’annoncent les décennies à venir ?

Les perspectives changent: l'analyse des prévisions d'un ensemble de modèles climatiques dans le cadre du projet CMIP6 montre une claire tendance à l'augmentation du nombre de jours de pluie et de son intensité, principalement dans les zones côtières et sur les plateformes glaciaires. Les modèles prévoient en outre que cette augmentation de la pluie sera la principale source d'augmentation des précipitations totales à venir en Péninsule antarctique. L'augmentation de la fréquence et de l'intensité des événements pluvieux pourrait constituer une menace pour les oiseaux marins nichant sur les bords de la calotte, mais aussi favoriser la fonte de la glace, notamment pour les plateformes Ronne et Ross en Antarctique de l'Ouest.

Comment cette recherche s’inscrit-elle dans les travaux de votre laboratoire ?
Le LTE est fortement impliqué dans l'étude des précipitations en Antarctique, à travers l'analyse de données collectées lors de campagnes de mesures sur place, combinées à des données simulées par des modèles météorologiques et climatiques. Le sujet peut sembler lointain vu de Suisse, mais les précipitations antarctiques sont un facteur crucial pour le bilan de masse de la calotte antarctique, qui lui-même influence directement l'évolution du niveau des mers. Les objectifs du LTE dans ce contexte polaire sont de comprendre les liens entre la circulation atmosphérique et les processus microphysiques afin de quantifier les précipitations antarctiques, mais aussi d'améliorer leur représentation et simulation dans les modèles numériques pour obtenir in fine des prévisions des futures précipitations en Antarctique plus fiables.

Allez-vous à nouveau vous rendre sur place ?

Le LTE prépare justement, en collaboration avec des équipes françaises, une nouvelle campagne de mesure de grande ampleur qui devrait fournir dans les prochaines années des données uniques pour caractériser la formation des précipitations antarctiques, estimer leur quantité, mais aussi leur phase (neige ou pluie).

Note

Geophysical Research Letters, liée à l’American Geophysical Union, publie des articles à fort impact et de format court ayant des implications immédiates couvrant toutes les sciences de la Terre et de l'espace.