«Des cours comme de vastes réseaux de connaissances»
53'000 étudiants inscrits, près de 10'000 certificats attribués: le premier MOOC proposé cet automne par l’EPFL sur la plateforme Coursera a rencontré le succès. Discussion avec son auteur, Martin Odersky, inventeur du langage de programmation informatique Scala.
Ils sont peu, dans le monde, à pouvoir se targuer d’enseigner à quelques dizaines de milliers d’étudiants en même temps. Martin Odersky, professeur au Laboratoire de méthodes de programmation de l’EPFL, en fait partie. Cet automne, sur sept semaines, il a donné le premier MOOC - pour Massive Online Open Course - organisé par l’Ecole sur la plateforme Coursera. Ayant pour thème le langage de programmation informatique Scala, qu’il a lui-même créé, son enseignement a eu un énorme succès. Plus de 53'000 personnes s’y sont inscrites et 9’700 ont passé le certificat final. Le cours sera certainement reconduit en automne 2013. Martin Odersky pense également en faire une seconde partie.
-Vous attendiez-vous à un tel succès?
Pas de cette envergure, même si les expériences menées préalablement par quelques universités, telles que Stanford ou MIT ont montré le potentiel de cette forme d’enseignement. Ce qui m’a surpris, c’est surtout l’implication et la motivation de ces personnes, et au final, également le taux de réussite. Près de 10'000 étudiants qui obtiennent ce certificat en seulement deux mois, c’est bien plus que durant toute ma carrière!
- Pouvez-vous dresser le profil de ces étudiants?
D’après un sondage que nous avons réalisé, ils viennent de toutes les parties du monde, Etats-Unis, Russie, Angleterre et Allemagne en tête. Les pays émergents, tels que l’Inde ou le Brésil sont aussi bien placés. La Suisse également, avec plusieurs centaines des personnes inscrites, dont 140 de l’EPFL. Mais surtout, il s’agit à 85% de gens qui ont déjà un diplôme universitaire, et qui ont donc déjà un réel intérêt pour la matière.
- Pour vous, en quoi est-ce très différent d’un enseignement traditionnel?
Seul devant son ordinateur, sans audience, c’est vraiment autre chose! Au quotidien, la préparation et la gestion de ces MOOCS engendre beaucoup de travail pour moi et mon équipe. Et puis, il a fallu inventer et s’adapter en cours de route. Par exemple, nous nous sommes rendus compte après quelques semaines qu’il fallait l’appoint d’un éditeur, une personne qui puisse porter un regard extérieur et signaler en amont ce qui ne va pas, n’est pas assez compréhensible ou nous rendre attentifs aux points qui nécessitent d’être développés davantage.
- Le manque de contacts directs avec le professeur ne pose-t-il pas problème?
Nous avons instauré un système de forums sur internet, avec l’aide de mes assistants-doctorants. Les étudiants peuvent aussi répondre les uns aux autres. A ce jour, 2'800 discussions ont ainsi été ouvertes, suscitant près de 12'000 posts! Il est vrai qu’au départ, l’usage de ces forums peut susciter de la résistance, car il demande en fait d’envisager l’apprentissage sous un nouvel angle. Certains regrettent par exemple de ne pas pouvoir poser des questions immédiatement au professeur. Mais ceux qui font le pas sont souvent heureux de constater qu’ils reçoivent des réponses satisfaisantes et rapides par internet.
- Pensez-vous que l’on va vers une généralisation des études en ligne?
Je crois que le contact direct reste très important, que le professeur à un rôle de modèle à jouer pour ses étudiants. L’enjeu est de trouver la bonne manière de combiner ces deux façons d’enseigner, chacun amenant des bénéfices différents.
- Quels sont, selon vous, les principaux bénéfices de ces MOOCS?
Ces MOOCS ouvrent par exemple de nouvelles opportunités à beaucoup de nos auditeurs venant de pays où ce genre de connaissances n’est pas facilement accessible ou n’est pas à jour. J’ai également l’espoir que ces échanges sur les forums créent un large réseau et fonctionnent comme une sorte de «pot» de connaissances, où les étudiants mais aussi d’autres professeurs pourraient venir partager ou chercher de nouvelles réflexions. L’Université d’Helsinki, en Finlande, a d’ailleurs accepté les crédits qu’offre mon cours dans leur cursus et nous sommes en discussions avec plusieurs autres institutions. Ce qui nous laisse imaginer que nous pourront peut-être un jour obtenir une formation issue de plusieurs universités en même temps. Nous sommes vraiment aux portes d’un nouveau monde de possibilités à explorer.