Délivrer un médicament sur commande et au bon endroit

 © Institut Adolphe Merkle - Université de Fribourg

© Institut Adolphe Merkle - Université de Fribourg

Des chercheurs ont réussi à contrôler la libération d’un principe actif avec un nanovecteur magnétique. Ces travaux, résultats d'une collaboration entre l’EPFL, l’Université de Fribourg et les Hôpitaux Universitaires Genevois (HUG), ouvrent la voie au développement de traitements ciblés plus efficaces et aux effets secondaires plus faibles.

Certains médicaments sont toxiques par nature. C’est le cas d’anticancéreux, dont le but est de tuer des cellules malades, mais qui atteignent aussi des cellules saines. Afin de limiter les effets secondaires d’une chimiothérapie, un traitement capable de libérer le médicament uniquement dans la zone malade serait une avancée considérable. Dans le cadre du Programme national de recherche «Matériaux intelligents» (PNR 62) - une coopération entre le FNS et l’Agence pour la promotion de l’innovation (CTI) -,des chercheurs de l’EPFL, de l’Institut Adolphe Merkle de l’Université de Fribourg (AMI) et des Hôpitaux Universitaires Genevois (HUG) ont ajouté une nouvelle pièce au puzzle du développement d’un tel médicament intelligent. Associant leurs compétences en matériaux, bio-nanomatériaux et médecine, ils ont démontré la faisabilité d’un nano-véhicule capable de transporter une charge et de la larguer sur commande.

Ce nanovecteur est un liposome, une vésicule d’un diamètre de 100 à 200 nanomètres, soit cent fois plus petit qu’une cellule, et dont la membrane est composée de phospholipides. Cette vésicule encapsule la charge médicamenteuse. Des molécules spécifiques sont attachées à la surface du liposome afin, d’une part, de cibler les cellules malignes et, d’autre part, de cacher le nanovecteur au système immunitaire, qui le considèrerait sinon comme un corps étranger à éliminer. Ne reste donc plus qu’à trouver un mécanisme capable d’ouvrir la membrane sur commande.

Un effet propre au monde «nano»

C’est précisément ce qu’ont fait les chercheurs. Leur clé? Des nanoparticules d’oxyde de fer (Fe2O3) superparamagnétiques (SPION) – elles ne deviennent magnétiques qu’en présence d’un champ magnétique externe -, qu’ils ont réussi à intégrer dans la membrane des liposomes. Soumis à ce champ, les SPION s’échauffent. Sous l’effet de la chaleur, la membrane devient perméable, ce qui permet de libérer le médicament. Les chercheurs ont démontré la faisabilité d’un tel nano-véhicule en parvenant à libérer de manière contrôlée un colorant contenu dans les liposomes.

«Nous pouvons ici vraiment parler de nanomédecine, car nous exploitons un effet quantique, le superparamagnétisme, qui n’existe que dans le monde nano», explique Heinrich Hofmann, du Laboratoire de technologie des poudres de l’EPFL. Les SPION sont de plus un excellent agent de contraste en imagerie par résonance magnétique (IRM). Un simple IRM permet donc de suivre les SPION et de n’activer le traitement qu’une fois qu’elles ont bien atteint leur cible.

«Afin de maximiser les chances de déboucher sur un traitement utilisable, nous sommes depuis le début partis sur la piste d’un nanovecteur que les médecins pourraient facilement accepter», poursuit Heinrich Hofmann. Cette stratégie est plus contraignante car elle limite le champ des possibles. Les liposomes, déjà utilisés pour certains médicaments sur le marché, sont ainsi composés de phospholipides naturels, que l’on trouve aussi dans la membrane de nos cellules. Pour les ouvrir, les chercheurs ont suivi la piste des SPION, car ils ont déjà fait l’objet de nombreuses études toxicologiques. Il existerait des matériaux plus performants, mais leurs effets sur la santé sont peu ou mal connus. Au niveau de la forme, un autre paramètre important pour le magnétisme, ils se sont limités à des nanoparticules sphériques, réputés plus sûres que celles de forme fibreuse. Quant à l’intensité et la fréquence du champ magnétique utilisés pour libérer le principe actif, elles sont compatibles avec la physiologie humaine.

Une question de taille

La combinaison de ces paramètres a placé les chercheurs devant un autre défi: afin d’atteindre une température suffisante pour ouvrir les liposomes, ils n’ont eu d’autre choix que de d’augmenter la taille des SPION de 6 à 15 nanomètres. Or l’épaisseur de la membrane des vé-sicules n’est que de 4-5 nanomètres. Réussissant un véritable tour de force, les chercheurs du groupe d’Alke Fink, de l’AMI, sont parvenus à regrouper les SPION dans une partie seulement de la membrane des liposomes (*). Ce regroupement permet par ailleurs une détection IRM bien meilleure que si les nanoparticules étaient réparties tout autour. Les chercheurs souhaitent maintenant mieux comprendre l’intégration des SPION dans la membrane des liposomes, avant de pratiquer des tests in vivo.


Auteur: Fonds national suisse de la recherche scientifique (FNS)

Source: EPFL