Décodage d'un mode de communication entre les cellules

© National Institutes of Health (common fund)

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Des chercheurs de l’Institut ISREC, à la Faculté des Sciences de la Vie de l'EPFL, ont décrypté le mécanisme par lequel certains micro-ARNs sont retenus dans la cellule tandis que d'autres sont sécrétés et transmis à des cellules avoisinantes.

Il existe de nombreux moyens par lesquels les cellules peuvent communiquer entre elles. Un des principaux est la libération par la cellule de molécules qui peuvent se lier à des récepteurs à la surface d'une autre cellule et ainsi initier une réponse de signalisation spécifique. Dans d'autres cas, les cellules libèrent de petites vésicules contenant des molécules de signalisation de différents types; ces vésicules peuvent ensuite fusionner avec d'autres cellules, ou être capturées par celles-ci, qui internalisent alors leur contenu.

Les exosomes sont de petites vésicules (également appelées microvésicules) produites par pratiquement tous les types de cellules. Après leur libération dans l'environnement extracellulaire (comme les interstices entre les cellules, le sang ou d'autres fluides corporels) les exosomes peuvent fusionner avec des cellules avoisinantes ou lointaines, à laquelle ils transfèrent leur cargaison de molécules. Il est important de noter que les exosomes contiennent non seulement des molécules de signalisation conventionnelles, tels que des protéines ou des peptides, mais aussi des acides nucléiques, tels que l'ARN et les fragments d'ADN, qui peuvent transférer horizontalement de l'information génétique d'une cellule à une autre.

Des modulateurs produits par les cellules
Les micro-ARNs sont des petites molécules d'ARN qui peuvent régler le comportement des cellules en modulant directement la stabilité (et par conséquent, les niveaux) d'autres molécules d'ARN, appelées ARN messagers (ARNm), qui sont les précurseurs de toutes les protéines cellulaires. Plusieurs dizaines d'espèces de micro-ARNs fonctionnels sont produites par chaque type de cellule. Celles-ci peuvent cibler des centaines d’ARNm pour moduler finement la production globale de protéines de la cellule. Des études récentes ont montré que les micro-ARNs sont emballés, de même que d'autres molécules, dans des exosomes et sont sécrétés dans l'environnement extracellulaire par une multitude de types de cellules. Cette découverte suggère un nouveau mécanisme de communication cellulaire impliquant la capacité des micro-ARNs dérivés d’exosomes à "reprogrammer" l'expression génique des cellules qui les ont capturés. Par exemple, certains des micro-ARNs assimilés pourraient influencer la capacité de la cellule à produire certaines protéines qui, à leur tour, peuvent affecter les fonctions et les comportements cellulaires.

Tri sélectif
La composition en micro-ARNs des exosomes peut différer de celle de la cellule productrice. En effet, certaines espèces de micro-ARNs peuvent être abondantes dans la cellule, mais rares dans les exosomes, et vice versa. Cette découverte suggère que le tri de certains micro-ARNs vers les exosomes pourrait être activement régulé, bien que les mécanismes sous-jacents soient encore méconnus. Avec le soutien financier du Fonds National Suisse de la Recherche Scientifique (FNS), Michele De Palma et ses collègues de l'EPFL et de l'Institut Suisse de Bioinformatique (SIB) de l'Université de Lausanne, ont identifié un mécanisme qui pourrait expliquer l'incorporation différentielle des micro-ARNs dans les exosomes. En effectuant du séquençage d’ARN et de la modélisation informatique de données, les chercheurs ont constaté que le tri des micro-ARNs vers les exosomes était directement contrôlé par l'abondance des ARNm qu'ils ciblent dans la cellule productrice. Lorsque les ARNm ciblés par un certain micro-ARN augmentent dans la cellule, par exemple à la suite de l'activation des cellules, ce micro-ARN est plus susceptible d'être retenu dans la cellule et exclu des exosomes. A l'inverse, si les taux d'ARNm diminuent, le micro-ARN est chargé dans les exosomes et sécrété. Ces résultats impliquent que la sécrétion de micro-ARNs par les exosomes est un mécanisme par lequel les cellules évacuent rapidement les micro-ARNs qui sont en excès de leurs ARNm cibles.

"Cela peut sembler être un mécanisme tout à fait simple et intuitif", explique Mario Leonardo Squadrito, l'un des premiers auteurs de l'étude, "mais examiner les interactions entre les micro-ARNs et leurs ARNm cibles s'est avéré difficile et a nécessité des analyses bioinformatiques complexes". Les auteurs ont également profité de vecteurs lentiviraux qu'ils avaient développés pour introduire ou supprimer des micro-ARNs spécifiques ou des d'ARNm cibles dans les cellules. "Ces expériences ont été cruciales pour documenter la façon dont les micro-ARNs peuvent transiter dynamiquement du cytoplasme de la cellule aux exosomes en réponse aux changements des taux d'ARNm", ajoute le chercheur.

Un rôle de marqueur biologique
Les micro-ARNs contenus dans les exosomes de la circulation sanguine (les «signatures de micro-ARNs») sont de plus en plus reconnus comme des biomarqueurs potentiels de maladies et de réponse au traitement. Les conclusions de De Palma et ses collègues non seulement identifient un mécanisme général de régulation de la distribution des micro-ARNs dans les exosomes, mais peuvent aussi aider à comprendre comment les signatures de micro-ARNs observés dans les exosomes de la circulation proviennent de l'intérieur des cellules. Par exemple, les patients atteints de certains types de cancer présentent une signature de micro-ARNs spécifiques dans le sang, qui peut refléter des profils d'expression d'ARNm (et de protéines) de leurs tumeurs altérés et peut-être en évolution. Un autre domaine de recherche important est l’étude du parcours et du destin des micro-ARNs après que les exosomes aient fusionnés avec d’autres cellules. "Même si nos résultats suggèrent qu’une part importante des micro-ARNs internalisés peut être dégradée, nous avons utilisé de nouvelles techniques pour démontrer qu’ils conservent la capacité de moduler l'expression génique une fois internalisé dans une cellule", explique Caroline Baer, une auteure principale de l'étude. "Un aspect fascinant de l’étude est que certaines cellules, comme les macrophages, produisent des quantités abondantes d'exosomes remplis de micro-ARNs. Si des cellules de types et d'origines différents peuvent échanger efficacement cette forme d'information génétique, leurs limites doivent être moins définies que ce que nous avions l'habitude de penser ", a-t-elle ajouté.


L'étude est publiée cette semaine dans Cell Reports. Les premiers auteurs de l'étude sont le Dr Mario Leonardo Squadrito, post-doc, et Caroline Baer, doctorante immatriculée au sein du programme doctoral EPFL Biotechnologie et bio-ingénierie (EDBB).
Référence: Squadrito, ML, Baer, C, Burdet, F, Maderna, C, Gilfillan, GD, Lyle, R, Ibberson, M, De Palma, M, Endogenous RNAs modulate microRNA sorting to exosomes and transfer to acceptor. 21 Août 2014 (publication en ligne avant impression).
Financement complet: Fonds National Suisse de la Recherche Scientifique (FNS), Centre national de compétence en recherche (NCCR) en oncologie moléculaire, Conseil européen de la recherche (ERC Starting Grant Tie-2 + monocytes), et Fonds Anna Fuller à M.D.P.


Auteur: Communication SV

Source: EPFL