De la baleine au lombric, un même mécanisme façonne les êtres vivants

© CC Genista

© CC Genista

Les souris n’ont pas de queue sur le dos, et les côtes ne poussent pas sur les lombaires. Et pour cause. Des chercheurs de l’EPFL ont mis au jour le mécanisme qui détermine la forme de nombreux animaux – de l’homme à la baleine bleue, en passant par les insectes.

Pourquoi des bras ne nous poussent-ils pas au milieu du corps? La question n’est pas aussi triviale qu’il paraît. Vertèbres, membres, côtes, coccyx… En deux jours seulement, tous ces éléments se mettent en place chez l’embryon, au bon endroit et avec une précision d’horloge suisse. Aiguillonnés par la fiabilité extraordinaire de ce mécanisme, les biologistes cherchent depuis longtemps d’en découvrir les dessous. Des chercheurs de l’Ecole polytechnique fédérale de Lausanne (EPFL) ont percé ce mystère, en collaboration avec l’Université de Genève (Unige). La découverte est publiée dans la revue américaine Science.

L’embryon se construit étage par étage
Tout se joue à un moment bien particulier du développement de l’embryon. En environ 48 heures, il va croître de haut en bas, étage par étage – on dit que l’embryon se segmente. «Nous sommes faits d’une trentaine de tranches horizontales, explique Denis Duboule, chercheur à l’EPFL et à l’Unige. Ces tranches correspondent peu ou prou au nombre de vertèbres.»

Toutes les 90 minutes, un nouvel étage est construit. Les gènes correspondant successivement aux vertèbres cervicales, au thorax, aux lombaires ou au coccyx vont s’activer exactement au bon moment. «Si le timing n’est pas respecté à la lettre, vous vous retrouveriez avec des côtes sur les lombaires», plaisante Denis Duboule. Comment font ces gènes pour se mettre en fonction de manière parfaitement synchronisée? «Nous présumions que l’ADN jouait en quelque sorte le rôle d’horloge. Restait à comprendre comment.»

Quand l’ADN sert d’horloge mécanique
En jeu, des gènes très particuliers, appelés «Hox». Responsables de la formation des membres ou de la colonne vertébrale, ils présentent une particularité remarquable. «Les gènes Hox sont situés les uns exactement derrière les autres sur la chaîne de l’ADN, en quatre groupes. D’abord le cou, puis le thorax, puis les lombaires, etc., explique Denis Duboule. Cette disposition unique devait forcément jouer un rôle.»

Le processus est étonnamment simple. Aux premiers temps de l’embryon, les gènes Hox sont dormants, conditionnés en pelote d’ADN. Le moment venu, le fil commence à se dérouler. Lorsque l’embryon forme les étages supérieurs, les gènes entraînant la formation des vertèbres cervicales sortent de la pelote et s’activent. Vient le tour du thorax, et ainsi de suite jusqu’au coccyx. Le fil d’ADN agit un peu comme une carte perforée, qui délivre des instructions à mesure qu’elle passe dans la machine.

«Un nouveau gène sort de la pelote toutes les 90 minutes, ce qui correspond au temps requis pour qu’un nouvel étage de l’embryon se construise, explique Denis Duboule. De la même manière, il faut deux jours pour que le fil se déroule complètement, et autant pour que tous les étages de l’embryon soient terminés.» Ce système figure la première horloge «mécanique» jamais découverte dans le domaine de la génétique. D’où la précision remarquable du système.
Cette découverte est le fruit d’un long travail. Sous la direction de Denis Duboule et de Daniël Noordermeer, l’équipe a analysé des milliers de pelotes de gènes Hox. Avec le concours de l’Institut suisse de bioinformatique, les chercheurs ont pu compiler ces nombreuses données et modéliser la structure de la pelote et son déroulement dans le temps.

Le serpent produit des vertèbres à la chaîne
Le phénomène découvert à l’EPFL est commun à de très nombreux êtres vivants, de l’homme jusqu’à certains vers, en passant par la baleine bleue et les insectes. La structure de tous ces animaux - soit la distribution des vertèbres, pattes et autres appendices le long du corps – est programmée comme du papier à musique par la séquence des gènes Hox, le long de la chaîne d’ADN.

Le corps sinueux du serpent illustre parfaitement le propos. Il y a quelques années, Denis Duboule découvrait chez ces animaux une défectuosité d’un gène Hox destiné à stopper le processus. «Maintenant, nous comprenons comment les choses se passent. Le processus ne s’arrête pas et l’embryon du serpent continue à produire des vertèbres à la chaîne, toutes identiques, jusqu’à ce que le processus s’épuise de lui-même.»

L’horloge Hox est une démonstration de l’extraordinaire complexité de l’évolution. Le mécanisme a comme propriété sa très grande stabilité, explique Denis Duboule. «Les horloges circadiennes ou menstruelles sont faites d’une chimie complexe. Elles peuvent ainsi s’adapter au contexte, mais sont globalement assez imprécises. Le mécanisme que nous avons découvert doit être infiniment plus stable et précis. La moindre modification entraîne quasiment un changement vers une autre espèce.»

---

Cette recherche s’inscrit dans le cadre du pôle de recherche national Frontiers in genetics. Les pôles de recherche nationaux sont une initiative du gouvernement suisse, dans le but de stimuler la recherche et la formation dans des secteurs clé. http://www.frontiers-in-genetics.org



Images à télécharger

© 2011 EPFL
© 2011 EPFL

Partager sur