Couvrez ce CO2 que je ne saurais voir!

© 2015 EPFL – Alain Herzog

© 2015 EPFL – Alain Herzog

Un monde qui carbure à 100% aux énergies renouvelables? La Conférence de Paris sur le climat va peut-être servir de catalyseur, selon Lyesse Laloui. Mais en attendant, le chercheur de l’EPFL préconise d’enfouir nos émissions de CO2.

La Conférence des Nations Unies s’est conclue sur un accord prometteur pour réduire notre impact sur le climat, ratifié par les 190 pays participants. Reste à savoir comment leurs engagements ambitieux pourront être respectés. La technologie fait bien entendu partie de la solution. Parmi les concepts les plus matures et éprouvés, la séquestration souterraine des gaz à effet de serre. Selon Lyesse Laloui, chercheur à l’EPFL, ces développements pourraient jouer un rôle crucial dans la période de transition qui s’annonce, avant que le renouvelable ne devienne la règle. Enterrer nos émissions de CO2, en attendant d’être capable de ne plus en émettre? C’est l’idée que défend l’expert en géo-ingénierie.

Les décisions prises dans le cadre de la Conférence mondiale sur le climat pourraient-elles donner un coup d’accélérateur aux technologies de séquestration du CO2?
Mon premier constat, général et positif, c’est qu’il y a aujourd’hui unanimité sur le fait qu’il y a bien un réchauffement climatique, et qu’en conséquence il faut faire quelque chose avec le carbone. Vis-à-vis de mon activité, ce consensus crée l’opportunité. Nous travaillons sur une solution parmi d’autres, mais qui rentre parfaitement dans le cadre des engagements pris.

Quel rôle la séquestration du CO2 pourrait-elle jouer à l’avenir?
C’est la seule technologie actuelle à même de pallier l’accumulation de CO2 dans l’atmosphère. Plus de 70 projets en on largement démontré la faisabilité. Depuis une quinzaine d’années, les grands projets industriels en cours séquestrent sous terre environ 1 million de tonnes d’oxyde de carbone par an. Et contrairement à l’extraction d’hydrocarbures, le stockage de CO2 peut se faire n’importe où dans le monde.

Pourtant, l’ampleur de l’utilisation de cette technologie n’est pas à la mesure de sa maturité. Comment expliquer qu’on n’ait pas plus recours à la séquestration?
Actuellement, les freins sont surtout financiers. Capturer et séquestrer une tonne de CO2 coûte autour de 60-70 euros. Mais pour seulement 10 euros, vous pouvez acheter des certificats sur le marché de la communauté européenne qui vous permet d’émettre le même volume. Comme on n’arrive plus à baisser significativement le prix du captage et de séquestration du CO2, il faudra qu’il y ait soit une forte volonté politique, soit une augmentation du prix des certificats d’émissions.

Précisément, la volonté politique s’est exprimée, en Suisse notamment, avec l’arrêt programmé des centrales nucléaires. La séquestration pourrait-elle jouer un rôle pour faciliter la transition?
En attendant que les énergies renouvelables puissent combler les lacunes, nous aurons une plage de temps où nous n’aurons pas suffisamment d’énergie indigène. On envisage donc d’utiliser les centrales thermiques à gaz pour produire de l’électricité, ce qui signifie plus d’émissions de CO2. La législation suisse exige que 100% de ces émissions soient compensées dont 70% en Suisse. On pourrait donc imaginer déployer les systèmes de captage et de séquestration de CO2 directement à côté des centrales thermiques à gaz, ce qui serait une solution efficace pour cette période transitoire.

Cette option est-elle sérieusement considérée par les autorités suisses?
Pour l’instant, il n’y a pas de plan effectif pour avancer dans cette direction. Avec le soutien de l’Office Fédéral de l’Energie, on travaille actuellement sur la détermination des sites potentiels où développer un site pilote, afin de faire des tests en grandeur nature – 5 à 10'000 tonnes de CO2 par an – et démontrer la faisabilité en suisse. Mais on est loin de savoir comment et à quel rythme cela sera développé.

Au niveau technique, comment la technologie fonctionne-t-elle?
Il y a trois étapes. Le CO2 doit d’abord être capturé à partir d’une source d’émission. Ensuite, il doit être concentré et transporté au site de stockage. Et ensuite vient l’étape de séquestration proprement dite. Pour cela, on profite d’une particularité du CO2: lorsqu’il est injecté à grande profondeur, avec des températures et pressions suffisamment élevées, il passe à un état dit supercritique. Dans cet état, il occupe 500 fois moins de volume que dans son état gazeux !

Cette technologie présente-t-elle des risques?
Comme toute activité humaine, il y a des risques à court et long terme. Dans le premier cas c’est surtout lié à la pression d’injection du CO2. Par exemple l’activation de failles, à travers lesquelles il pourrait avoir des fuites, ou le déclenchement de petits séismes. On maitrise ces risques en comprenant bien les mécanismes physiques liés à ces processus, et en développant des outils de prédiction. A plus long terme, il y a le risque que le CO2 supercritique, fortement acide, déstabilise les couches géologiques qui garantissent l’étanchéité du stockage. Mais nous avons des solutions scientifiques pour éviter ces cas, au niveau de monitoring en temps réel, en dimensionnant convenablement les projets.

Ce sont d’ailleurs ces dernières thématiques qui font l’objet de l’essentiel de votre travail.
En effet. Par exemple, on étudie l’impact du CO2 supercritique sur les roches-réservoirs dans lesquels on l’injecte, que ce soit au niveau de la perméabilité ou de la résistance du matériau. Ensuite on regarde aussi son impact sur le «cap-rock», soit la couche géologique qui garantit l’étanchéité. Dans les deux cas, on étudie comment les roches réagissent au contact avec un fluide acide. Nous sommes parmi les seules équipes au monde capables de faire ce travail en laboratoire. Pour ce faire, nous avons développé des équipements qui permettent de reproduire les véritables conditions qui règnent à des profondeurs allant jusqu’à 7 kilomètres. Dans le cadre d’un autre projet, on a développé des outils de prédiction et de dimensionnement des ouvrages liés à la séquestration de CO2. Ces outils nous permettent de prédire le comportement des roches sur plusieurs années suite à l’injection du gaz.

En novembre 2016, Lyesse Laloui organise à l’EPFL une conférence internationale sur les technologies de contrôle des gaz à effet de serre, en collaboration avec l’Agence internationale de l’énergie. Sont attendus environ 2000 experts du monde entier, industriels, décideurs et académiques. Pour plus de renseignement : http://www.ghgt.info/ghgt-13