Colorer l'ADN en rouge pour observer les cellules

Mitose d'une cellule vivante (HeLa) colorée avec Sir-Hoechst © Kai Johnsson/EPFL

Mitose d'une cellule vivante (HeLa) colorée avec Sir-Hoechst © Kai Johnsson/EPFL

Des scientifiques de l’EPFL ont développé un nouveau colorant de l’ADN qui permet d’observer les cellules vivantes.

L’un des objectifs phares de la bio-imagerie est d’observer le fonctionnement interne d’une cellule alors qu’elle est toujours vivante. Mais les cellules placées sous un microscope risquent d’être tuées par la lumière ainsi que par les colorants fluorescents utilisés pour faire ressortir leurs structures. Elles sont sensibles à la lumière intense, qui leur fait l’effet d’un coup de soleil – en particulier les ultraviolets et les lumières bleues utilisées en imagerie cellulaire. Aujourd’hui, des scientifiques de l’EPFL ont mis au point un nouveau colorant de l’ADN qui peut être utilisé sans risque pour observer les cellules de mammifères durant des jours, même avec des conditions d’imagerie exigeantes. Cette recherche est publiée dans Nature Communications et est reprise par la nouvelle start-up de l’EPFL Spirochrome.

Les produits fluorescents qui illuminent l’ADN d’une cellule sont populaires dans l’imagerie biomédicale, car ils permettent de suivre des processus biologiques clés tels que la division cellulaire. Toutefois, les colorants actuels sont toxiques ou nécessitent un type d’éclairage qui peut endommager les cellules (comme la lumière bleue). Pour être inoffensif, un colorant de l’ADN devrait idéalement être activé dans un spectre de lumière rouge lointain.

De plus, nombre de substances ne sont pas compatibles avec un microscope à super-résolution, une technique d’imagerie qui peut saisir les cellules avec une résolution plus élevée que les microscopes normaux. Il y a par conséquent une attente de la part du milieu de la bio-imagerie pour un colorant peu toxique, qui réagisse à la lumière rouge lointaine et qui puisse être utilisé avec la microscopie de très haute résolution.

Le colorant idéal

Le laboratoire de Kai Johnsson à l’EPFL a développé un composant qui répond à toutes ces contraintes. Les scientifiques ont combiné deux molécules : la première est une molécule fluorescente (silicone-rhodamine ou SiR) réactive à la lumière rouge lointaine et déjà développée dans le laboratoire de Kai Johnsson. La seconde est un colorant de l’ADN bien connu, « Hoechst », dont le nom chimique est bisbenzimidazole. L’équipe de chercheurs a baptisé le résultat «SiR-Hoechst».

Ce colorant se fixe sur une partie de l’hélice d’ADN appelée « le sillon mineur ». Une fois attaché, il s’active et émet une lumière rouge fluorescente. C’est un avantage considérable, car il produit très peu de bruit: s’il ne trouve pas sa cible, il ne s’active pas. Plus important, SiR-Hoechst peut s’attacher à l’ADN sans altérer sa fonction biologique cellulaire. Et comme toutes les cellules ont un ADN, ce procédé peut s’appliquer à de nombreuses espèces et à des types de cellules et tissus variés.

Comme le colorant SiR-Hoechst s’active avec la lumière rouge lointaine, il y a peu de risque d’endommager les cellules. De plus, la lumière qu’il émet peut être facilement distinguée de la fluorescence des cellules vivantes. Ces caractéristiques donnent un net avantage à SiR-Hoechst par rapport à d’autres produits: il peut maintenir sans risque une coloration de haute qualité sur des cellules vivantes, et ceci durant plus de 24 heures. Ce qui permet aux biologistes d’identifier des cellules individuelles dans un tissu ou une culture, ou de suivre des processus délicats en temps réel, tels que la division cellulaire.

En prime, ce colorant permet la prise d’images de cellules vivantes en super-résolution, ce qui ouvre la voie à une imagerie ADN de très haute qualité dans les cellules et les tissus biologiques. « L’arrivée de SiR-Hoechst rapproche la bio-imagerie de l’un de ses objectifs principaux: observer les merveilles de la nature sans les déranger», souligne Kai Johnsson.

L’équipe de chercheurs prépare la commercialisation de ce colorant via la start-up Spirochrome. Active depuis un certain temps à l’EPFL, cette start-up fournit de nouveau type de sondes fluorescentes pour le monde scientifique. Ces sondes dévoilent le cytosquelette des cellules vivantes avec une résolution sans précédent.

Cette étude est une collaboration de l’EPFL avec l’Institut de biotechnologie moléculaire de l’Académie autrichienne des sciences, ainsi que l’Université de Genève et l’Institut Max Planck de Chimie biophysique. Elle a été soutenue par le NCCR Biologie chimique, par le septième programme-cadre de la Communauté européenne (FP7), par une subvention de démarrage ERC, et par le Fonds viennois pour la science, la recherche et la technologie.

Source

Lukinavičius G, Blaukopf C, Pershagen E, Schena A, Reymond L, Derivery E, Gonzalez-Gaitan M, D’Este E, Hell SW, Gerlich DW, Johnsson K. SiR-Hoechst is a far-red DNA stain for live-cell nanoscopy.Nature Communications 01 October 2015. DOI: 10.1038/NCOMMS9497