Antidépresseurs et anticoagulants freinent le cancer du cerveau
Des scientifiques de l’EPFL ont découvert que combiner des antidépresseurs avec des anticoagulants ralentit le développement de tumeurs cérébrales (gliomes) chez les souris.
Les gliomes sont des tumeurs cérébrales agressives qui se forment dans les cellules gliales. Elles représentent environ un tiers des cas de tumeurs du cerveau, sont les plus fréquentes et présentent le taux de mortalité le plus élevé chez les patients atteints d'un cancer primitif du cerveau. La recherche de traitements efficaces est une priorité. Certains antidépresseurs déjà disponibles sur le marché pourraient diminuer le risque de gliomes, mais il n’y avait jusqu’ici que peu d’éléments qui encourageaient leur utilisation sur des patients. Des scientifiques de l’EPFL ont aujourd'hui découvert que des antidépresseurs dit «tricycliques» alliés à des traitements anticoagulants peuvent ralentir les gliomes. Le traitement force les cellules cancéreuses à s’auto-dévorer. Cette étude est publiée dans Cancer Cell.
Les gliomes apparaissent lorsque les cellules de soutien du cerveau, appelées «cellules gliales», se multiplient de manière incontrôlable. La fonction normale des cellules gliales est de soutenir le tissu neuronal et de l'aider à fonctionner correctement. Il y a trois sortes de cellules gliales, et les gliomes sont souvent composés d’un mélange d'entre elles.
Malgré l'agressivité des gliomes et leur fort taux de mortalité, il n'y a pour l'heure que peu de traitements disponibles. Depuis le début des années 2000, les scientifiques se sont intéressés à une catégorie d’antidépresseurs appelés «tricycliques» pour développer un nouveau médicament qui pourrait freiner la formation des gliomes. Une première étude clinique n’a toutefois révélé que peu d'avantages pour les patients.
Forcer les gliomes à s'autodétruire
Le laboratoire de Douglas Hanahan, à l’Institut Suisse de Recherche Expérimentale sur le Cancer (ISREC) de l’EPFL, s'est attaqué au problème en combinant des antidépresseurs tricycliques avec des anticoagulants. Dans une étude conçue et menée par le postdoctorant Ksenya Shchors, les scientifiques ont sélectionné des antidépresseurs en les associant avec plusieurs médicaments disponibles sur le marché et susceptibles de s'attaquer aux cellules gliales. Le processus de sélection a révélé que le meilleur allié potentiel était une catégorie d’anticoagulants. Ces substances perturbent l'activité de transmission de signaux d’un récepteur exprimé sur les plaquettes, et qui se trouve être régulé dans les cellules de gliomes.
Les chercheurs ont examiné les effets des deux médicaments sur des souris atteintes de gliomes. Elles ont reçu une thérapie combinée avec des doses variables de médicaments. L’antidépresseur était administré oralement, alors que l’anticoagulant était injecté 10 à 15 minutes plus tard. Chaque thérapie combinée a été administrée pendant cinq jours consécutifs.
Les résultats ont montré que ces médicaments s’associent pour combattre les cellules cancéreuses. Ces substances perturbent en particulier un processus biochimique dans les cellules des tumeurs gliomes, qui régule un mécanisme appelé «autophagie» - littéralement, «qui se mange soi-même». A un faible niveau contrôlé, l’autophagie est un mécanisme de recyclage qui aide la cellule à survivre au stress. Mais à un niveau excessivement élevé, il peut les mener à la mort.
Les deux médicaments perturbent le mécanisme qui limite l’intensité du recyclage par autophagie. Il le fait à deux moments du processus, poussant les cellules à une autophagie hyperactive qui les fait littéralement s’auto-dévorer. Bien que chacun de ces médicaments puisse individuellement stimuler l’autophagie, ils n’ont séparément pas d’impact significatif sur la mortalité des souris atteintes de gliomes. Mais quand les scientifiques de l’EPFL ont combiné ces deux substances, l’espérance de vie des rongeurs a doublé. Ces deux catégories de médicaments génériques ont ainsi trouvé un nouvel objectif: au lieu de cibler les neurones pour combattre la dépression ou les plaquettes pour limiter la coagulation, ils se sont transformés grâce à leur capacité complémentaire et synergique pour provoquer une autophagie excessive dans les cellules gliales.
«Il est très intéressant d’imaginer qu’en combinant deux médicaments génériques relativement bon marché et non toxiques, nous puissions faire une différence dans le traitement des cancers du cerveau», commente Douglas Hanahan. Toutefois, le chercheur souligne qu’il n’est pas encore certain qu’un tel traitement soit bénéfique aux patients. «Cette approche n’en est qu’à ses débuts. Il y a besoin de plus de travail pour évaluer son véritable potentiel.» Les chercheurs sont en train de préparer les premiers essais cliniques.
Cette recherche a été subventionnée par la Fondation S.A.N.T.É. et la Faculté des Sciences de la vie de l’EPFL.
Référence
Shchors K, Massaras A, Hanahan D. Dual Targeting of the Autophagic Regulatory Circuitry in Gliomas with Repurposed Drugs Elicits Cell-Lethal Autophagy and Therapeutic Benefit. Cancer Cell 28, 1–16 October 12, 2015. DOI: http://dx.doi.org/10.1016/j.ccell.2015.08.012
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